Microsoft, en collaboration avec la société Quantinuum, a annoncé avoir atteint un nouveau sommet en matière de correction d'erreur quantique, bousculant les perspectives d’usage de l'informatique quantique dans l'industrie. « Les ordinateurs quantiques existants relèvent tous de la première étape de l'informatique quantique, à savoir le niveau fondamental, également connu sous le nom de « noisy intermediate scale quantum ou quantique d’échelle intermédiaire bruité » (NISQ), », a expliqué Krysta Svore, vice-présidente du développement quantique avancé chez Microsoft Corp. à Redmond (Wash.). « L'importance de cette annonce est que nous atteignons le niveau deux, à savoir celui de l'informatique quantique résiliente », a-t-elle ajouté. « Cela signifie que l'informatique quantique commercialement viable, qui nécessite au moins 1 000 qubits fiables et logiques, n'est plus qu'à quelques années de distance, et non plus à quelques dizaines d'années », a-t-elle poursuivi. Quant à l'informatique quantique scientifiquement utile, qui ne nécessite que 100 qubits, elle est encore plus proche.

Solutions quantiques matérielles vs. solutions logicielles 

L'informatique quantique utilisable se heurte à deux obstacles principaux : le nombre de bits quantiques - ou qubits - dont dispose un seul ordinateur, et la fiabilité de ces qubits. C’est assez proche de ce qu’essayent toujours de faire les fabricants d'ordinateurs traditionnels, en tentant d’ajouter plus de portes sur une seule puce et de les faire fonctionner de manière fiable. En informatique quantique, la nécessité d’avoir plus de qubits et des qubits plus fiables est liée. La plupart des entreprises qui travaillent sur les ordinateurs quantiques abordent le problème de la fiabilité en utilisant plusieurs qubits physiques pour effectuer le même calcul. En effet, elles peuvent transformer deux qubits physiques - ou un millier de qubits physiques - en un qubit logique. Il ne s'agit pas d'une faute de frappe. Les qubits sont tellement sujets aux erreurs qu'il en faudrait un millier, voire plus, pour obtenir un qubit logique fiable. Étant donné que chaque qubit supplémentaire est très difficile à construire, ce taux d'erreur élevé a un impact considérable sur les progrès réalisés.

Les entreprises spécialisées dans l'informatique quantique essayent de résoudre ce double problème tant au niveau physique que logiciel. Sur le plan du hardware, elles cherchent à empêcher les erreurs de se produire en réduisant les fluctuations de température et les vibrations, ou en concevant des qubits plus stables dès le départ. Une autre approche consiste à intégrer une correction physique des erreurs. Au début de l'année, trois fournisseurs ont annoncé des percées dans ce domaine. Par exemple, au lieu d'avoir des qubits de secours, ils ont utilisé des photons de secours, plus précisément, des photos à portée de micro-ondes rebondissant à l'intérieur de sphères creuses à miroir, ou rebondissant à l'intérieur de circuits, tous liés à un niveau quantique au qubit qu'ils sauvegardent. Quantinuum, partenaire de Microsoft, affirme que son taux d'erreur physique est inférieur à celui des autres ordinateurs et qu'il possède le plus petit circuit tolérant aux pannes connu. En septembre dernier, la société a annoncé une percée dans l'exécution de calculs mathématiques sur un système tolérant aux pannes avec trois qubits logiques.

D'autres équipes travaillent sur le sujet 

Par ailleurs, le 5 mars, l'entreprise a fait savoir qu'elle avait aussi résolu le problème du câblage. Dans les ordinateurs quantiques, chaque qubit nécessite un grand nombre de signaux de contrôle, ce qui rend de plus en plus difficile l'ajout de qubits supplémentaires à un système. Quantinuum a déclaré qu’elle était en mesure de réduire le câblage à une entrée numérique par qubit, plus un nombre fixe de signaux analogiques, mettant enfin l'évolutivité à portée de main. Selon Mme Svore, la percée de Microsoft reposait sur cet avantage matériel. Outre les nouveaux algorithmes de correction d'erreur, le dernier niveau de fiabilité a été atteint grâce à la « collaboration entre les implémentations matérielles et logicielles, et à l'utilisation de qubits physiques présentant une fidélité et une connectivité élevées », a-t-elle affirmé. Grâce à cette collaboration, le nombre total de qubits physiques nécessaires pour créer un qubit logique a été réduit d'un facteur allant jusqu'à 800. Cette approche logicielle de correction des erreurs a été baptisée « Carbon code » par les deux partenaires.

Microsoft et Quantinuum ne sont pas les premières à effectuer une correction d'erreur logicielle pour les ordinateurs quantiques. Plusieurs entreprises, dont IBM et Alice & Bob, utilisent des codes de contrôle de parité à faible densité, qui existent depuis les années 1990, essentiellement pour améliorer les communications. « Le « Carbon code » est différent », a précisé Mme Svore, ajoutant que « le Carbon code n’est pas considéré comme un code LDPC de parité à faible densité ». Techniquement, le Carbon code est un code stabilisateur de type Calderbank-Shor-Steane, qui est un code de correction d'erreur quantique. « Il code deux qubits logiques parmi 12 qubits physiques », a déclaré Mme Svore. « En outre, l'annonce démontre un cycle complet de correction des erreurs, et non pas seulement des parties du cycle, comme c'était le cas dans les expériences précédentes », a aussi expliqué Sam Lucero, analyste quantique en chef à Omdia. « Les ordinateurs quantiques tolérants aux pannes ne sont pas qu'une possibilité théorique, mais ils ont de fortes chances d'être réalisés dans le monde réel », a-t-il affirmé.

Quelles perspectives pour l'informatique quantique 

Certains experts en informatique quantique doutent que la percée soit aussi importante que Microsoft et Quantinuum le laissent entendre. « Microsoft dit elle-même qu'elle doit améliorer la fidélité d'au moins trois ordres de grandeur », a tempéré M. Lucero, d'Omdia, ajoutant que « l'expérience n'avait montré que des portes de Clifford ». Les portes de Clifford ne prennent en charge que certains types de calculs. Cela signifie que les qubits logiques démontrés par Microsoft ne sont pas suffisants pour un ordinateur universel complet. « Des fonctionnalités autres que les portes de Clifford devront être ajoutées à un moment ou à un autre. Et quatre qubits logiques sont loin des 100 qubits nécessaires pour une valeur scientifique », a-t-il ajouté. Sur une note positive, cela signifie que les méthodes de cryptage actuelles restent sûres. « Il semble qu'il faille environ 2 000 qubits logiques pour exécuter l'algorithme de Shor de manière à casser le cryptage AES 256 bits », a encore déclaré M. Lucero.

Selon David Shaw, analyste en chef chez Global Quantum Intelligence, Microsoft a peut-être aussi sélectionné les résultats qui peuvent attirer l'attention. « Ils se permettent d'écarter les essais qui n'ont pas fonctionné », a-t-il avancé. « Il faut vraiment plisser les yeux pour voir qu'il y a eu une amélioration au niveau des erreurs. C'est impressionnant, mais il faut plisser les yeux ». En d'autres termes, l'informatique quantique n'est pas encore à l'heure du Spoutnik. Nous avons vu un moteur de fusée s'allumer. Un test de combustion statique, plutôt qu'une mise en orbite. On ne sait pas encore comment l'approche de Microsoft pourrait être utilisée de manière évolutive pour supprimer les erreurs, ni comment elle s'appliquerait aux portes quantiques universelles. « Oui, c’est une étape importante », a reconnu M. Shaw. « Le débat actuel dans le domaine est de savoir, dans combien de temps, nous pourrons construire des systèmes tolérants aux pannes à grande échelle. Cela ne change pas réellement le débat. Une machine à quatre qubits logiques présenterait un intérêt scientifique, et peut-être des applications de niche, mais il est peu probable qu'il s'agisse d'applications à usage général et largement utilisables ».

De nombreux travaux encore nécessaires

D'autres entreprises ont construit des ordinateurs quantiques avec plus de qubits. Mais l'informatique quantique est aujourd'hui si récente qu'il existe de multiples approches radicalement différentes pour construire les qubits physiques. Selon Baptiste Royer, professeur à l'université de Sherbrooke, l'approche de Microsoft dépend fortement du matériel d'informatique quantique de Quantinuum, de sorte qu'il est peu probable que d'autres entreprises se lancent dans la même technologie. « Je doute que d'autres entreprises se lancent dans cette technologie, mais elles pourraient s'inspirer de la théorie sous-jacente », a-t-il estimé. Selon M. Royer, la dernière annonce témoigne d’une série de petites améliorations : outre les codes de correction d'erreur, il y a également eu des améliorations au niveau du matériel, de l'étalonnage, de la fabrication, de la précision, ainsi que de nouveaux protocoles de mesure. Par conséquent, il n'y a pas d'avantages significatifs et immédiats pour les entreprises qui recherchent une informatique quantique pratique, en particulier avec le plus petit nombre de qubits logiques. « Les chercheurs qui s'intéressent à la correction d'erreurs disposent désormais d’un terrain de jeu pour effectuer des tests », a poursuivi M. Royer. « Pour les chercheurs, c'est passionnant. Pour le grand public, je ne vois pas d'impact pratique immédiat, mais cela rapprochera l'informatique quantique et réduira le temps qu'il faudra pour déboucher sur des applications pratiques ».