« Le secteur du numérique dans son ensemble est dans une position, aujourd’hui, un peu particulière. Le système est en train de se bloquer, de se coincer, et quand on regarde les différents sujets, on se rend compte qu’ils sont complexes à résoudre de façon individuelle » débute Patrick Chaize, sénateur et président de l’association Avicca. Le ton est donné, l’heure est au rassemblement et à la reconstruction d’un « vrai projet du numérique en France » insiste-t-il. Il n’hésite pas à rappeler les objectifs principaux fixés, à savoir : le tout fibre à échéance 2025 et l’extinction du réseau cuivre en 2030. Après avoir interrogé Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, sur le sujet la semaine dernière au Sénat, Patrick Chaize estime qu’il y a un besoin de clarification et de repositionnement par rapport à l’écosystème du numérique.

En ce sens, l’Avicca – qui regroupe des collectivités publiques – et InfraNum – qui regroupe des opérateurs, des intégrateurs et des équipementiers – appellent à un « good deal » du numérique. Présenté comme un pacte pour l'égalité numérique des territoires afin d’enraciner le Plan France Très Haut Débit (THD), cette initiative est ambitieuse et auto-financée précise Philippe Le Grand, président de la fédération InfraNum. « En 2023, si nous ne voulons pas affronter des désillusions, il y a besoin d’enraciner un plan à 10 ou 20 ans » ajoute-t-il. Le plan, qui repose sur trois grands principes que sont « l’égalité, la pérennité et la solidarité », vise à garantir l’accès au numérique partout et pour tous.

« Egalité, pérennité, solidarité »

Dans le détail, ce fameux « good deal » du numérique prévoit d’abord la création d’un fonds de péréquation des réseaux optiques, « estimé à plusieurs centaines de millions d’euros à fiscalité constante » correspondant à la pérennité. Le fonds viendra renforcer et sécuriser les réseaux d’initiative publique (RIP), et maintenir un principe fondamental qui est l’accès à un niveau de service comparable sur tout le territoire, indique Patrick Chaize. Le fonds sera abondé par les territoires urbains et redistribué aux territoires ruraux afin de permettre à ces derniers d’équilibrer l’exploitation de leurs réseaux mais aussi participer au financement d’un certain nombre d’actes sur ces réseaux. Le sénateur pointe notamment du doigt l’IFER (Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux) actuellement aux alentours de 400 millions d’euros et pouvant croître jusqu’à 1 milliard d’euros à l’avenir. Selon les présidents des deux associations, cette taxe, aujourd’hui très forte, doit être réaffectée au fonds de péréquation pour aider les réseaux. « Nous avons besoin de cette malle » insistent-ils, ajoutant qu’aujourd’hui il existe une forme de gaspillage avec cette taxe. « On anticipe que l’IFER sur le fixe va croître de façon trop importante et on espère qu’elle sera, en partie ou dans son ensemble, réaffectée au bénéfice des infrastructures réseaux ». Clin d’œil aux plus sensibles à l’écologie, ce fonds devrait également permettre l’amélioration de l’architecture réseau face aux aléas climatiques.

Le deuxième principe, qui est celui de l’égalité, consiste à traiter tous les raccordements complexes de la même façon. Pour ce faire, Patrick Chaize évoque la mise en place d’une structure nationale – dont l'enveloppe sera fixée au 16 mai lors de l'évènement de printemps de l’Avicca – et sera financée par des investisseurs publics et/ou privés. Bien sûr, des pistes ont déjà été explorées et certains se sont déjà proposés pour ce financement, à l’instar de la Banque des territoires et un opérateur. Enfin, sur la question de la solidarité, il s’agit d’adapter les tarifs sur le marché de gros dans les zones rurales afin de « contribuer à la péréquation et garantir l’équilibre économique des réseaux d’initiative publique ». Philippe Le Grand précise : « On ne peut pas considérer que la vie d’un réseau soit la même en zone rurale ou en zone urbaine. Il y a toujours eu des variations de prix entre ces zones, les coûts ne sont pas les mêmes ». Il ajoute qu’il n’y aura pas d’incidence prévue sur le tarif de détail.

L’avenir c’est la fibre, avec ou sans l’Etat

« C’est un plan qui va réaffecter un impôt démesurément croissant. Aujourd’hui les planètes sont alignées car l’ensemble des acteurs publics et privés y trouvent un intérêt » poursuit Philippe Le Grand. Avec la réussite de ce programme dédié aux infrastructures, les deux associations font également le pari de l’émergence par la suite d’entreprises innovantes qui répondront à d’autres questions sous-jacentes. « Derrière tout cela, il y a un enjeu industriel et une filière qui s’exporte, il y a un savoir-faire français à exporter » ajoute-t-il. « Le Plan France Très Haut Débit a permis à notre pays et aux territoires de faire un grand pas en avant dans la modernisation de notre pays ; maintenant, il faut garantir que ce progrès puisse être accessible à tous, bénéficier à chacun des Français, sur l’ensemble du territoire, de manière durable. La fermeture du réseau historique en cuivre prouve que nous sommes à la croisée des chemins. La transformation de notre pays reste inégale et trop d’actions publiques et privées en matière de numérique se font en ordre dispersé, voire avec des logiques contradictoires. Il est urgent de refonder le système actuel - y compris s’agissant de la fiscalité des télécoms - et définir une feuille de route ambitieuse partagée entre tous les acteurs pour cette décennie » souligne Patrick Chaize.

Toutefois, il faudra trouver un levier législatif pour concrétiser ce plan. Pour Patrick Chaize, il ne s’agit pas d’un résultat qu’il présente ici mais bien d'une feuille de route pour des années à venir, et ne s’interdit rien dans les négociations et la liste des problématiques qui seront exposées. « C’est une incitation, une position assez ferme avec la volonté d’engager l’Etat dans cette direction ». Reste donc un obstacle potentiel à la poursuite du projet : « Est-ce que le ministre veut le porter ou pas ? ». Si la réponse est oui, il y aura alors une collaboration pour porter un projet de loi, indique Philippe Le Grand. Si la réponse est non, « on en prendra l’initiative avec une proposition de loi qui émanera du sénateur Chaize ». « On vous le dit, ce deal, c’est un good deal » lance le président de l’Avicca.