Mais où s’arrêtera l’hégémonie des GAFAM ou GAFAMAT (en rajoutant Alibaba et Tencent) ? Après l’Internet, l’e-commerce, les réseaux sociaux, les systèmes d’exploitation, le cloud…,  voici que ces géants du numérique américains et chinois s’attaquent au marché des semi-conducteurs, un secteur qui, rappelons-le, est, d’une part, historiquement dominé par AMD, Broadcom, Intel, Qualcomm, Micron, Nvidia, Samsung Electronics ou encore Texas Instruments, et, d’autre part, touché de plein fouet par la pénurie des composants. Souvenons-nous déjà d’AWS qui avait racheté en 2015 la start-up israélienne Annapurna Labs, un fabricant de puces. Six ans après, AWS dispose de plusieurs séries de processeurs pour ses propres besoins cloud dont le CPU Graviton 2 à base d’ARM - le Graviton 3 vient d'être annoncé -  qui est exploité pour les services AWS EC2 ainsi que les puces Inferentia ou plus récemment Trainium dédiées au traitement d’applications IA (deep learning). Facebook développerait également des puces pour ses propres besoins dans ses datacenters, notamment dans l’amélioration de la vidéo et le traitement de l’IA. De son côté, Google, en plus de ses avancés dans l’informatique quantique, s’est lancé dans la réalisation de puces pour les Chromebook, ces ordinateurs portables qui fonctionnent sous ChromeOS. Google suit en quelque sorte Apple qui avait présenté sa puce M1 en novembre 2020, laquelle équipe aujourd’hui les MacBook au grand dam d’Intel. Les puces de Google viendront compléter les SoC maison pour sa gamme de smartphones Pixel 6. La firme agit aussi au niveau du traitement vidéo avec ses puces de transcodage Argos. Enfin, le géant a récemment embauché une ponte d’Intel pour diriger une nouvelle entité de GCP en Israël dédiée à la conception de processeurs destinés aux serveurs. Quant à Microsoft, en plus d’avoir conçu Pluton (support du TPM 2.0) pour mieux sécuriser Windows, l’éditeur panacherait sur des puces maison pour équiper sa gamme Surface.

Les géants chinois rentrent dans la course

Face aux Américains, la Chine réagit, le pays met d’ailleurs la pression sur ses entreprises pour ne plus dépendre de la chaîne d’approvisionnement américaine et de ses partenaires taïwanais et coréens. Ainsi, Alibaba, Huawei, Baidu ou encore Tencent multiplient les annonces. Tencent, ce géant du jeu vidéo, a d’ailleurs dévoilé début novembre trois puces : la première pour le traitement de l’IA, la seconde pour la conversion des fichiers vidéo et le transcodage et la dernière ciblant le réseau pour les serveurs cloud. Côté serveurs, Alibaba a dévoilé en septembre dernier Yitian, une puce sur base ARM gravée en 5 nanomètres. Face aux sanctions américaines, l’équipementier Huawei devrait, lui aussi, se donner plus d’indépendance dans la fabrication de puces en prévoyant de construire sa propre usine notamment pour graver ses processeurs Kirin qui équipent ses équipements. Enfin, Baidu, le concurrent de Google en Chine, a présenté KunLun 2, sa deuxième génération de processeurs dédiés au traitement de l’IA.

Et l’Europe dans ce marché ? Seulement 10 % des puces sont aujourd’hui produites sur le continent essentiellement par le néerlandais NXP (ex Philips)et le franco-italien STMicroelectronics (sortis tous les deux du Top 10 en 2019 dans le classement Gartner des fabricants de puces). Pour retrouver une certaine souveraineté, surtout suite aux conséquences de la pénurie actuelle, un objectif de 20 % de puces produites en Europe a été fixé dans 10 ans ; pour ce faire, des investissements massifs vont être engagés. Le problème est que le retard technologique, notamment sur la gravure des composants, est tel qu’il est difficile d’imaginer comment le combler.