« Elue présidente, je ferai du numérique un secteur prioritaire de l’investissement public » déclare Marine Le Pen, dans son manifeste sur le numérique. Les mots sont forts mais est-ce pour autant une réalité ? A-t-elle vraiment des ambitions pour le secteur du numérique et des technologies ? C’est en tout cas ce qu’elle exprime, à travers son programme, où elle plaide pour quatre points : « garantir la protection des données personnelles des citoyens, favoriser l’émergence et le développement d’acteurs locaux, imposer le respect des règles que trop d’entreprises étrangères ont pris l’habitude de violer, et maîtriser la sécurité des intérêts de la France et des Français dans le cyberespace ».

La souveraineté à tout prix

« Il faut avant tout favoriser l’émergence d’acteurs français ou européens dans tous les domaines du numérique ». La candidate veut donc avoir un recours exclusif à des fournisseurs français pour la commande publique dans les domaines militaires et de sécurité nationale. A Station F, en février dernier, elle s’était alors adressée aux entrepreneurs français en s’exclamant « vous êtes le poumon de la France ». Souhaitant renouer avec la prospérité, elle précise que le reste de cette commande publique sera consacré à des fournisseurs européens. Seront concernés les matériels informatiques, de télécommunication, les logiciels, les services, notamment d’hébergement cloud. Egalement à l’ordre du jour, « le contrôle strict avec faculté d’interdiction pour des intérêts étrangers ou non européens de racheter des entreprises françaises de pointe du secteur du numérique stratégique, dans l’esprit du décret Montebourg » précise-t-elle. Dans sa quête de souveraineté, Marine Le Pen annonce par ailleurs que l’État recourra au Fonds souverain français (FSF) – sous l’égide de la Caisse des dépôts - qu’elle souhaite mettre en place « pour favoriser l’émergence et le développement d’acteurs français du numérique ».

 De même, elle souhaite mettre en place une fiscalité au niveau de l’Union européenne ou de l’Ocde pour augmenter les montants des impôts d’entreprises étrangères en France. Elle annonce également un renforcement du respect par ces dernières du droit français et européen en matière de protection des données personnelles. La candidate vise ici les Gafam, maintes fois rappelés à l’ordre et au cœur de plusieurs enquêtes. Lors d’une collecte de données personnelles, elle indique que la règle sera leur désactivation par défaut, et leur interdiction totale lorsque l’usager est mineur. Elle entend appliquer le principe de minimisation des données, « notamment dans le cas des identifiants interopérables (se connecter à un service avec des identifiants d’un autre service).

« Faire régner la loi »

Sans citer les entreprises, la candidate évoque « les principaux prestataires du numérique - moteurs de recherche, messageries, réseaux sociaux qui ont imposé leurs propres règles aux États ». Elle entend contraindre davantage ces entreprises à respecter le droit national des pays concernés en les obligeant à respecter plusieurs mesures. Il s’agira d’abord de collaborer avec les services de police, de justice et de gendarmerie dans le cadre d’enquêtes ayant trait au harcèlement en ligne, à la diffamation, à la contrefaçon et à tout crime ou délit ». Apple et Facebook ont plusieurs fois répondu par la négative à ce type de demande et il apparaît difficile de les contraindre.

La porte-parole du Rassemblement national indique vouloir supprimer « la censure [de ces firmes] sur les contenus qu’ils diffusent en fonction de leurs propres règles », un clin d’œil à Twitter qui applique sa propre vision en matière d’incitation à la haine, de protection des mineurs, etc, mais aussi de fermetures de comptes. « Si les réseaux sociaux privés devaient persévérer dans leurs pratiques », elle propose notamment d’« établir et gérer un réseau social public, libre et gratuit », une proposition que peu de candidats ont émis. Souhaitant mettre un terme à certaines pratiques anticoncurrentielles, Marine Le Pen veut également accorder le statut de salariés aux chauffeurs et livreurs des plateformes numériques telles que Deliveroo, Uber Eats, VTC.

Résorber la fracture numérique

Faisant le constat d’un territoire encore trop impacté par la fracture numérique, Marine Le Pen veut d’abord la couverture du territoire, sous le pilotage de l’Arcep, « afin qu’il n’y ait plus de zones blanches et afin d’améliorer la qualité des réseaux dans les zones grises ». Elle compte, dans un second temps, accroître les capacités de formation au numérique, tant dans les filières de pointe que dans l’initiation. Pour ce faire, elle engagera une « politique volontariste de lutte contre l’illectronisme, ou illettrisme numérique, qui touche notamment les personnes âgées et celles vivant en milieu rural, en développant les dispositifs déjà existants de guichet numérique (dans les mairies ou les préfectures) et en mobilisant les acteurs de la médiation numérique administrative ou associative ». Elle reste cependant méfiante vis-à-vis de la dématérialisation croissante des services, et veut « maintenir des présences physiques de fonctionnaires ou agents des services publics, ou, à tout le moins, qu’un numéro de téléphone permette de les contacter ».

Promouvoir un cyberespace sûr

Sur la question du cyberespace, la candidate prend l’exemple des rançongiciels dont sont victimes entreprises et particuliers, mais aussi de l’espionnage des dirigeants, l’espionnage économique, les cyberattaques contre des banques, des hôpitaux, des infrastructures vitales qui viennent perturber le territoire. « Pour garantir un haut niveau de sécurité dans le cyberespace aux Français et aux entreprises, je renforcerai la cybersécurité nationale dans toutes ses dimensions : infrastructures, matériels, logiciels, capacités de détection d’attaques, formations spécialisées et sensibilisation du public » énonce-t-elle.

Enfin, la candidate compte renforcer les capacités de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure (Dgse) et les capacités militaires dans ce domaine. A cet effet, elle prévoit de créer des « commandos numériques » - un point évoqué par Emmanuel Macron – qui seraient chargés à la fois de réagir à des attaques contre des services informatiques (neutralisation et contre-attaque) et de mener des simulations d’offensives numériques pour éprouver la sécurité des services français.