L'intérêt majeur de Chorus reste qu'il est unifié pour l'ensemble des administrations d'Etat et doit donc d'une part s'articuler au mieux entre tous les outils (notamment la gestion fiscale Copernic et la gestion unifiée de la paye), d'autre part être plus simple et moins cher à entretenir et utiliser. Or la conservation des « particularités métiers » de chaque ministère a entraîné le maintien et la transformation de multiples outils locaux, en contradiction avec l'objectif initial d'unification. Pire, la saisie unique de chaque information comptable est aujourd'hui remise en cause, au moins dans un premier temps. L'économie attendue pourrait donc ne pas être au rendez-vous, ou du moins avoir été surévaluée. Surtout, la Cour fustige la très mauvaise organisation de la « chaîne de la dépense ». La distinction classique ordonnateur/comptable n'est pas remise en cause dans la LOLF mais la définition des rôles de chacun et les procédures métier auraient dû être remises à plat au travers d'une refonte du RGCP (règlement général sur la comptabilité publique). Cette refonte n'a pas eu lieu. En conséquence, les interventions des multiples acteurs sur la chaîne comptable ne sont pas optimisées.

Economies mal placées en licences

Le choix de SAP a entraîné des coûts de licence et de maintenance considérables. Pour les limiter, l'Etat a choisi de limiter l'usage de Chorus à 25 000 utilisateurs simultanés sans aucune étude préalable des besoins alors que 30 000 utilisateurs sont recensés et que leur nombre atteindra 50 000 à terme. Seul un utilisateur réel sur deux pourra donc se servir de l'outil à un instant. L'accès à Chorus au travers de formulaires simplifiés, en dehors du décompte des utilisateurs simultanés, fait l'objet d'une passe d'arme entre la Cour (très critique au nom de la qualité de l'information comptable) et le ministre des finances (qui les défend en les destinant à des utilisateurs non-comptables). La réorganisation des services, notamment avec la création des centres de services partagés inter-administrations, a pourtant multiplié les besoins en partages de l'information. Au final, l'outil qui est, sur le papier (dématérialisé), un formidable accélérateur de la qualité de gestion de l'Etat reste largement sous-utilisé selon le jugement de la Cour des Comptes. Assez ironiquement, la Cour a inséré un encadré « la théorie et la pratique dans Chorus » (page 273 du rapport complet) qui résume les différences entre le fonctionnement attendu par les auteurs de la LOLF et ce qui se constate de fait sur le terrain où les procédures d'exception s'ajoutent aux outils parasites d'une informatique grise qui aurait dû disparaître. Comme disait Albert Einstein : « la théorie et la pratique, en théorie c'est pareil, en pratique c'est différent ».

Un défaut de gouvernance et de stratégie politique

Les procédures d'une incroyable lourdeur pour passer outre les difficultés avaient été critiquées par la Cour dès 2006 qui y voyait une difficulté pour tracer les opérations et certifier les comptes. La Cour reproche surtout au niveau des décideurs politiques et des directeurs d'administration, pour résumer, d'avoir demandé à un outil informatique de faire leur travail, à savoir de définir les procédures métier et de trancher dans les choix stratégiques d'organisation. Aucun outil informatique ne l'a jamais fait, simplement parce que ce n'est pas son rôle. Il n'existe pas même un référentiel comptable unique, source de difficultés infinies dans la collaboration entre Chorus et les autres outils du SI de l'Etat, notamment Copernic et les outils métier. Le référentiel national du patrimoine immobilier n'est plus jugé comme fiable. Quant aux instances de gouvernance du projet, comme le Comité d'Orientation Stratégique, elles n'ont aucun pouvoir réel sur l'organisation et les procédures métier. Dans sa réponse, François Baroin, ministre des finances, admet certes les difficultés, invoquant une gestion du changement déficiente malgré les efforts, mais défend l'absence de gouvernance stratégique au nom de l'autorité de chaque administration et de la procédure d'arbitrage du Premier Ministre. Il annonce malgré tout la refonte du RGCP (règlement général sur la comptabilité publique) afin de -enfin- clarifier les rôles de chacun dans la chaîne de gestion de la dépense (alors que Chorus est déjà déployé). Il confirme également que le périmètre fonctionnel de Chorus va continuer de s'accroître pour atteindre -un jour- celui prévu en 2001 par les auteurs de la LOLF.