Le Coter Club réunit les DSI de collectivités territoriales depuis 25 ans. L'association a organisé son congrès anniversaire à Caen les 17 et 18 juin 2014. Le thème en était « les tablettes du DSI ». Outre le quart de siècle, l'année était particulière également par le contexte de réforme territoriale qui pointe son nez. Mais, pour l'heure, cette future réforme peu définie n'a encore aucune conséquence sur les SI si ce n'est une certaine inquiétude ambiante. Les Conseils Généraux pourraient être ainsi amenés à disparaître.

Accueillant les congressistes au côté de la présidente du club Yvonne Gellon (en photo), le maire de Caen, Joël Bruneau, a rappelé : « le débarquement, dont nous venons de fêter les 70 ans, a été organisé sans ordinateur, sans même le moindre mail. » Mais, aujourd'hui, aucune collectivité ne saurait fonctionner sans un système d'information. Le rôle du Coter-Club est de permettre l'échange de bonnes pratiques. Outre les stands des fournisseurs sponsorisant l'événement, le congrès est donc surtout l'occasion de présenter des projets innovants ou permettant une meilleure utilisation des moyens budgétaires. Les ateliers ont notamment permis des présentations de projets locaux autour de thèmes comme l'exploitation du patrimoine de données ou la stratégie SI.

Le Big Data au service du tourisme

Ainsi, l'Office du Tourisme des Bouches du Rhône a pu démontrer que le Big Data était utile aux territoires. Depuis que les touristes ont cessé de se rendre spontanément dans les offices de tourisme pour déclarer leur arrivée et se renseigner sur ce qu'ils pouvaient faire dans la région, les décideurs locaux sont aveugles sur la mécanique des flux touristiques. Orange a proposé à l'organisme d'utiliser les communications de téléphones mobiles pour étudier ces flux. La visualisation permet de repérer en temps réel les pics de téléphones actifs, au delà des seuls résidents, selon les endroits et les moments.

En étudiant les entrées-sorties de numéros de téléphones sur une période et sur une zone, Orange peut dire si un téléphone est celui d'un résident ou d'un touriste sans avoir à renoncer à l'anonymat strict des abonnés. Outre cet anonymat instantané, Orange respecte également des mailles minimales de cinquante personnes dans les fichiers et les visualisations fournies afin qu'aucune analyse a posteriori ne permette de retrouver les individus suivis.

Les touristes peuvent aussi être suivis durant leurs séjours pour que l'office du tourisme analyse les déplacements. De ce fait, l'Office du Tourisme des Bouches du Rhône peut savoir instantanément la quantité de personnes présentes sur un événement ou un lieu et, avec un certain délai, combien il y avait de locaux, de touristes séjournant, d'excursionnistes, etc.

Un boulevard intelligent en attendant une ville entière

Autre forme d'exploitation des données, « le boulevard connecté » a été présenté par la ville de Nice et Cisco. L'approche s'est voulue globale en matière d'Internet des objets. Des capteurs ont été placés sur les places de parking pour définir les places libres ou non (avec la fréquence de changement du véhicule garé), sur les bennes à ordures pour indiquer leur niveau de remplissage, sur l'éclairage public pour moduler celui-ci en fonction de la luminosité naturelle ou de la fréquentation du lieu, etc.

Le tout a été relié à un système de gestion grâce à une infrastructure commune Wi-Fi avec des bornes durcies sur les lampadaires. Cette infrastructure, installée dans toute la ville au delà du seul démonstrateur actuel, pourra à terme être également utilisée par la population locale ou les touristes. Les services mobiles municipaux seront dès lors disponibles sans soucis de roaming.

La ville de Caen connectée

Le numérique se répand ainsi dans la rue au delà du simple placement d'infrastructures comme la fibre optique au bénéfice des résidents. La ville de Caen, régionale de l'étape, a ainsi insisté sur la nécessité de développer des services connectés au bénéfice des citoyens en lien avec d'autres services. Trois sujets ont été privilégiés par Caen dans ses plans : les transports, les commerces et l'identité numérique.

Côté transports publics, la vérification des horaires et la billetterie ont été améliorées grâce aux smartphones des usagers. Un tag 2D sur chaque station de bus permet ainsi de consulter les horaires réels des bus passant dans cette station. Le billet a également été dématérialisé en 2013 via l'application mobile pour téléphones avec puces NFC. Le décompte et le contrôle des billets se font même smartphones éteints, à court de batterie par exemple. En effet, le smartphone éteint muni d'une puce NFC se comporte comme un tag NFC passif. Les composteurs et applicatifs de contrôle peuvent donc identifier le voyageur et vérifier la validité du titre dans son compte client centralisé.

Commerce et tourisme sont également connectés. Une application gratuite pour Android, iOS et Windows, financée par l'adhésion payante des professionnels, va permettre début juillet 2014 de lister les magasins de l'agglomération et de gérer autant les programmes de fidélisation que la diffusion des offres spéciales, y compris des offres communes à un quartier. Caen souhaite enfin offrir une gestion des identités à ses citoyens mais l'outil reste à ce jour en projet.

De son côté, la ville de Romans (35 000 habitants, 800 agents) a mis en place un schéma directeur de dématérialisation avec l'aide de Syneor. Pour ce faire, un schéma directeur a été mis en place.

Des compétences numériques des collectivités locales encore insuffisantes

Pour porter les évolutions numériques des collectivités locales, il est nécessaires de disposer des compétences adéquates. Une centaine de collectivités et établissements ont été interrogées par le cabinet Markess en partenariat avec le Coter Club dans le cadre de la première édition d'un baromètre destiné à être annuel.

Selon ce baromètre, la direction la plus pro-active (en dehors de la DSI) dans la mise en place du numérique est la direction de la communication devant la direction générale. Côté DSI, la collaboration avec les directions métiers, générales et les élus est bien vue comme un passage obligé. Mais l'existence d'un élu référent dédié au numérique est loin d'être la règle.

Les compétences à intégrer au sein de la DSI dans les deux ans sont nombreuses : la sécurité, la dématérialisation, etc. Mais les expertises technico-métiers sont, selon les profils, à intégrer tantôt dans la DSI tantôt dans les directions métiers.

Le DSI des collectivités reste en général un homme (80%) de plus de cinquante ans. Or les DSI mixent des talents très divers, de la Génération Y nativement numérique au vieux briscard qui était déjà là il a trente ans. Le management de telles équipes est parfois délicat.

Les rôles de la DGS et de la DSI en question

Comme le numérique irrigue tous les services, le risque est aussi que la DSI soit rétrogradée au statut de direction technique et perde son rôle stratégique comme une table ronde en a fait le constat. Le DSI en tant qu'homme peut aussi évoluer vers la direction générale des services (DGS) en étant remplacé par un simple technicien. Le rôle de la DSI est donc bien en question alors même qu'elle doit accompagner la transformation des métiers. D'autant plus que le budget des SI reste élevé et que la DSI est encore trop souvent vue comme un centre de coût et non comme un centre de valeur.

Tout dépend, en fait, de la répartition des rôles entre la DGS et la DSI : stratégie et technique numériques peuvent être réunies à la DSI si la DGS ne peut pas porter la stratégie. Mais la DGS peut à l'inverse porter la stratégie numérique et la DSI être alors réduite au statut technique. Dans certaines collectivités où un agenda numérique est mis en oeuvre sous tutelle étroite des élus, une direction générale peut, comme à Bordeaux, réunir la DSI et une direction des usages, avec un élu référent dédié, et un pilotage matriciel métiers/DSI de la transformation numérique.

Pascale Luciani-Boyer, élue locale, consultante et membre du Conseil National du Numérique, a plaidé pour qu'il y ait des relais du numérique dans toutes les directions métiers des collectivités locales, relais fédérés de manière transverse. Mais, pour elle, « le sujet n'est pas technique, car il relève des usages et très peu d'élus se saisissent du sujet ou en comprennent l'importance ».